Les traditions des sociétés du Pacifique Sud, naguère condamnées comme un monde de Ténèbres par les missionnaires, puis décrites comme moribondes par des générations d'ethnologues, sont aujourd'hui présentées sous l'angle d'une renaissance culturelle. A Vanuatu (ancien Condominium franco-britannique des Nouvelles-Hébrides), la coutume (kastom en pidgin-english) est devenue, depuis l'indépendance de ce pays, un symbole politique pour la célébration de la mélanésianité. On la trouve non seulement dans le discours des élites dirigeantes qui ont mis en oeuvre un processus d'édification nationale, mais aussi dans celui de mouvements nativistes hostiles à leur intégration dans cet ensemble. A partir des travaux sur l'invention des traditions, thème cher à l'historien Eric Hobsbawm, et des recherches sur les politiques de l'identité en Mélanésie initiées par l'ethnologue Roger Keesing, je me livre dans cette thèse à un examen critique du poids idéologique du traditionalisme dans l'édification nationale du jeune Etat de Vanuatu. L'examen du débat sur l'invention des traditions et des instrumentalisations nationalistes de ce processus (en mettant à contribution dans mes analyses des auteurs tels que Weber, Weil, Gellner, Anderson, Shils, Eisensatdt, Smith, Babadzan) permet, dans le rapport des ni-Vanuatu à leur passé, de distinguer la transmission d'une culture vivante de ses réifications folkloriques, d'opposer les adaptations syncrétiques à la modernité, à l'idéologie traditionaliste des anciennes autorités coloniales et à celle néo-traditionaliste d'élites post-coloniales. Sur la base d'une solide documentation, complétée par mes données et observations de terrain, j'examine ensuite en détail trois exemples significatifs de l'instrumentalisation du discours sur la kastom dans l'histoire récente de cet archipel. Les mouvements millénaristes et syncrétiques des îles de Tanna (culte de John Frum), de Santo (mouvement Nagriamel) et l'idéologie nationaliste des élites dirigeantes actuelles, me servent ainsi à analyser les différentes formes de revendications d'identités culturelles présentées aujourd'hui comme ancestrales. A l'appui de ces comparaisons, je souligne l'intérêt que présente le cas de Vanuatu dans le débat, particulièrement animé ces dernières années entre océanistes, sur les questions d'ethnicité et de traditions inventées.