Depuis le 11 septembre 2001, on parle plus que jamais du « choc des civilisations ». Pour Samuel Huntington, mais aussi pour Fernand Braudel qui a employé la même formule dans sa Grammaire des civilisations, il s’agit surtout du choc entre des religions. On peut objecter qu’aujourd’hui cela traduit surtout le conflit entre le monde des riches et celui des pauvres. Mais Oussama ben Laden est un multimilliardaire saoudien étroitement associé aux banques américaines et européennes et lié, comme ses plus proches partisans, au régime ultraréactionnaire wahhabite. Loin d’être porteurs de projets d’égalité sociale, ils cherchent d’abord à purifier la terre sacrée d’Arabie de la présence de chrétiens, à chasser les Juifs de Jérusalem et surtout à faire triompher l’Islam contre l’Occident, puis contre le monde hindou. Pour ces ultra-islamistes, il s’agit fondamentalement d’un conflit entre religions et nous devons en tenir compte, même si nous l’envisageons tout autrement en termes géopolitiques. Huntington comme Braudel accordent une grande importance à la dimension spatiale des grandes religions, mais on ne peut les comparer à ces grandes plaques de l’écorce terrestre dont les géologues nous racontent les frictions et les chevauchements. Certes, ces grandes religions s’étendent sur des ensembles continentaux, mais les centaines de millions d’hommes qui y vivent, s’ils sont informés de rivalités religieuses au plan mondial, n’y participent pas pour la plupart : ces conflits se déroulent surtout aujourd’hui dans les zones de contacts entre religions différentes. Les rivalités géopolitiques y étaient déjà très compliquées, avant même que les dieux soient mobilisés pour raffermir la haine que leurs fidèles se vouent les uns aux autres.